Dans ce journal comme ailleurs, vous avez sans doute déjà rencontré l’expression « révolution copernicienne ». Elle met en avant le fait que Nicolas Copernic (1473 – 1543) a provoqué un changement de perspective majeur en montrant qu’il était plus pertinent de considérer que c’est bien la Terre qui tourne autour du Soleil plutôt que l’inverse. À ce premier bouleversement font écho les travaux de Galilée (1564 – 1642), lesquels – justement en se basant, entre autre, sur ceux de Copernic – ont définitivement montré que le système de Claude Ptolémée (vers 90 après J.-C. – vers 168) publié dans l’Almageste1Κλαύδιος Πτολεμαῖος, vers 150 après J.-C. Μαθηματική σύνταξις. Texte en grec ancien. Une traduction en français par Nicolas Halma : Claude Ptolémée, 1813 et 1816. Composition mathématique, deux volumes, J. Hermann, Paris. Les deux tomes en édition bilingue français et grec ancien sont disponibles en ligne. – selon lequel, en accord avec la physique aristotélicienne, la Terre était immobile au centre du Monde – était erroné.
De ceci, j’ai déjà parlé, vu d’ici. Comme je l’ai déjà indiqué, tous les deux ont été précédés par les travaux de Nicole Oresme (vers 1320 ou 1322 – 1382) et Galilée s’est également appuyé sur ceux de Johannes Kepler (1571 – 1630), entre autres. J’ai donc sciemment utilisé cette même expression de « révolution copernicienne » ou encore « révolution épistémologique ». Avec l’objectif de poser la question que je vous propose d’aborder dans cet article : cette expression est largement répandue, fort bien. Cependant, est-il vraiment pertinent de parler de révolution ? Le but étant également de vous inviter, ô ! estimés lecteurs, à faire un examen critique de ce que je peux écrire ici.
De quoi la révolution est-elle le nom ?
Tout d’abord, qu’entend-on par le mot « révolution » ? Dans son sens premier, il décrit une trajectoire circulaire (ou bien elliptique), comme la trajectoire d’une planète ou d’un astre jusqu’à ce qu’il rejoigne son point de départ. Par analogie, on l’utilise également pour parler du temps qui passe, tel que « la révolution des siècles ».
À ce stade, vous vous demandez peut-être si je ne cède pas au plaisir de lancer un troll. Certes, un peu…
La vision des Lumières
Dans son sens second, le terme « révolution » est utilisé pour désigner le changement dans les choses du monde ou dans les opinions. Pour ma part, la première occurrence de cette utilisation à propos d’un sujet scientifique que j’ai pu trouver provient de l’Encyclopédie2Denis Diderot et Jean le Rond d’Alembert (éditeurs), 1751-1772. Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, Briasson, David, Le Breton et Durand, Paris, 35 volumes. Disponible en ligne., qui présente les travaux d’Isaac Newton (1642 ou 1643 – 1727)3Notamment son ouvrage le plus célèbre : Isaac Newton, 1687. Philosophiæ naturalis principia mathematica, John Streater, Londres. Texte en latin. Disponible en ligne. Une version française par Émilie du Châtelet : Isaac Newton, 1759. Principes mathématiques de la philosophie naturelle, deuxième édition, Paris. Disponible en ligne. et de quelques autres comme des révolutions, c’est-à-dire comme initiant le début d’une époque. D’ailleurs, il semble bien que ces dites révolutions soient pour beaucoup dans la mise en place du projet des encyclopédistes. Dans leur ouvrage, le terme sert en définitive à désigner tout ce qui s’inscrit dans la mutation de la science physique, plus particulièrement mécaniste, entre le xviie et le xviiie siècle. Bref, les changements dans l’approche des sciences dont j’ai déjà présenté une partie par ici.
En philosophie, Emmanuel Kant (1724 – 1804) a dénommé « révolution copernicienne » le passage d’un système géocentrique à un système héliocentrique4Immanuel Kant, 1781. Critik der reinen Vernunft, Johann Friedrich Hartknoch, Riga, Saint empire romain germanique. Texte en allemand. Disponible en ligne. Une traduction française par A. Tremesaygues et C. Pacaud : Emmanuel Kant, 1975. Critique de la raison pure, PUF. Disponible en ligne..
Une longue histoire
L’usage du terme « révolution » entretient l’idée qu’il y aurait un changement brutal. Cependant, comme je l’ai déjà indiqué par ailleurs, les premiers modèles dans lesquels la Terre n’est pas au centre de l’Univers remontent à l’antiquité, par exemple avec Aristarque de Samos (vers 310 – 230 avant J.-C.), ainsi que nous le rapporte Archimède5Áρχιμήδης, Ψαµµίτης. Texte en grec ancien. Disponible en ligne. Une traduction française par F. Peyrard : Archimède, 1807. L’Arénaire, François Buisson, Paris. Disponible en ligne. (vers 287 – 212 avant J.-C.), ou bien avec Séleucos de Séleucie6Voir par exemple : Bertrand Russel, 1945. A History of Western Philosophy, George Allen & Unwin Ltd. Texte en anglais. (né vers 190, actif vers 150 avant J.-C.). Également, on trouve des textes de l’Inde antique mentionnant de tels systèmes. Ces textes sont mentionnés et commentés par Al-Bīrūnī7Voir par exemple : Laurent Herz, 2007. Al-Biruni, un génie de l’an mil, Éditions du Cygne. (973 après J.-C. – 1048 ou vers 1052).
Même en ne se focalisant que sur la réintroduction du système héliocentrique pendant l’époque moderne, force est de constater qu’il s’agit du résultat d’une certaine maturation. En effet, comme je l’avais écrit, Nicole Oresme avait déjà présenté ce système comme crédible8Nicole Oresme, 1377. Livre du Ciel et du monde. Disponible en ligne.. Avant lui, Ibn al-Shâtir (1304 – 1375) avait proposé un système héliocentrique9Voir par exemple : Victor Robert et Edward S. Kennedy, 1959. « The planetary Theory of Ibn al-Shātir », in : Isis 50, pp. 227 – 235. Texte en anglais. Disponible en ligne.. À son tour, Copernic, donc, montre l’intérêt d’un tel système10Nicolaus Copernicus, 1543. De revolutionibus orbium cœlestium, Johann Petreium, Nuremberg, Saint empire romain germanique. Texte en latin. Disponible en ligne. Une édition critique bilingue latin-français : Michel-Pierre Lerner, Alain-Philippe Segonds et Jean-Pierre Verdet (directeurs), 2015. Nicolas Copernic, De Revolutionibus orbium cœlestium – Des Révolutions des orbes célestes, 3 volumes, Les Belles Lettres, Paris..
Le cas Copernic
Notons, ce sera utile pour la suite, qu’Andreas Osiander (1498 – 1552), théologien chargé de surveiller la fin du travail d’impression de l’ouvrage de Copernic, a pris de son propre chef la décision de faire précéder l’ouvrage d’un avertissement indiquant que le système héliocentrique n’est qu’une simple hypothèse de calcul11Voir par exemple : John Henry, 2012. A Short history of scientific thought, Palgarve Macmillan, Basingstoke, Hampshire, Royaume-Uni.. En revanche, dès sa préface, Copernic affirme au contraire que ce système est conforme à la véritable constitution du Monde. Toutefois, Robert Bellarmin (1542 – 1621) s’appuiera sur cet avertissement pour considérer que Copernic n’a effectivement jamais envisagé l’héliocentrisme que comme une hypothèse de calcul.
Il convient de s’attarder un peu sur le cas de Copernic. En effet, de tous ceux que je cite dans cet article, c’est probablement celui qui a travaillé le plus individuellement. Il était même relativement isolé. Cependant, il avait tout de même des contacts avec les autres astronomes, au moins par exemple lorsqu’il a fait circuler le manuscrit souvent appelé Commentariolus12Nicolaus Copernicus, entre 1511 et 1513. De Hypothesibus Motuum Cœlestium Commentariolus. Texte en latin. On trouvera une traduction en français et commentée de ce manuscrit dans : Henri Hugonnard-Roche, Edward Rosen et Jean-Pierre Verdet, 1975. Introductions à l’astronomie de Copernic, Albert Blanchard, Paris., lequel présente déjà un système héliocentrique. Il n’y avait pas fait apparaître le nom de l’auteur – son nom, donc –, mais ce texte contribuera néanmoins à établir sa réputation d’astronome. C’est d’ailleurs cette réputation qui va conduire Georg Joachim von Lauchen, dit Rheticus (1514 – 1574), à venir collaborer avec Copernic13Georg Joachim von Lauchen, 1540. Narratio prima, Franz Rhode, Dantzig, Saint empire romain germanique. Texte en latin. Disponible en ligne. On en trouvera une traduction en français et commentée dans Hugonnard-Roche et collab. (1975), voir note 12.. Ce dernier ne correspond donc pas véritablement à l’image du savant travaillant seul et sans rapport avec l’extérieur.
De même, il est difficile de savoir à quel point Copernic a été exposé aux théories héliocentriques qui l’ont précédé. Toutefois, notons que, pendant ses études à Bologne entre 1496 et 1503, il loge chez Domenico Maria Novara (1454 – 1504), lequel mettait déjà en cause l’autorité de Ptolémée (notamment en raison de la complexité de son système)14On trouvera des éléments de biographie de Copernic dans Hugonnard-Roche et collab. (1975), voir note 12.. Également, s’il a bien appris le grec ancien, Copernic ne connaissait pas l’arabe. En revanche, il a étudié dans une université disposant de nombreux ouvrages, à une époque de traduction des travaux arabes. Par exemple, jusqu’à ce que Rheticus lui apporte une édition du texte original en grec ancien, il utilisait une traduction latine par Gérard de Crémone (1114 – 1187) de la version arabe de l’Almageste.
Postérité de Copernic
Ce qui va véritablement permettre le succès du système copernicien c’est la publication en 1551 des Tables pruténiques par Erasmus Reinhold15Erasmo Reinholdo, 1551. Prutenicæ Tabulæ Cœlestium Motuum, Ulrich Morhard, Tübingen, Saint empire romain germanique. Texte en latin. Disponible en ligne. (1511 – 1553), permettant de calculer les positions apparentes du Soleil, de la Lune et des planètes. Ces tables sont les premières produites en utilisant le système de Copernic et étaient d’une précision supérieure à celles précédentes. S’il faut reconnaître que cette précision était d’abord due à la qualité des observations de Reinhold, elles assureront une bonne diffusion au système sur lequel elles se basent.
Plus tard, Galilée utilise les travaux de Copernic, mais aussi ceux de Kepler16Johannes Kepler, Nicolaus Copernicus, Michael Mästlin et Johannes Schöner, 1596. Mysterium cosmographicum, Georgius Gruppenbachius, Tübingen, Saint empire romain germanique. Réédité en 1621 avec les commentaires de Kepler. Texte en latin. Disponible en ligne. Une traduction critique française par Alain Segonds : Jean Kepler, 1984. Le Secret du Monde, Belles Lettres, Paris. – lequel compilait déjà les travaux de plusieurs autres auteurs, en plus d’ajouter ses propres développements mathématiques –, pour les compléter de ses propres observations17Galileus Galileus, 1610. Sidereus nuncius, Thomam Baglionum, Venise. Texte en latin. Disponible en ligne. Une traduction française par Fernand Hallyn : Galilée, 1992. Le Messager des étoiles, Seuil. Disponible en ligne..
Dans les paragraphes précédents, j’ai cité un nombre important d’auteurs et d’ouvrages, même en comparaison avec mes habitudes dans ce journal. Ceci illustre un fait que je voulais exposer à votre sagacité : en fait de révolution, on voit qu’il s’agit d’une histoire assez longue.
L’idée de « révolution copernicienne » est en réalité introduite par des auteurs appartenant au courant des Lumières et elle s’inscrit dans un propos : pour les auteurs de ce courant intellectuel, la pensée médiévale a été entravée par la domination du système aristotélicien et de la scolastique. Dans la mesure où la physique d’Aristote (384 – 322 av. J.-C.) s’est révélée intégralement fausse et que, lorsqu’on se penche sur des textes scolastiques, on est assez frappé par la lourdeur des raisonnements, on peut certes se féliciter de l’entreprise qui nous a débarrassé de ces approches. Cependant, que ces auteurs répondent à un tel agenda les a poussés à présenter les choses d’une manière assez orientée, pour ne pas dire partiale.
Une pensée foisonnante
Car le Moyen Âge, environ mille ans de notre histoire tout de même, est en définitive une période bien plus foisonnante que le portrait qu’on en dresse trop souvent. Je vous propose de prendre un exemple qui me semble assez représentatif.
Il y a quelques années, Ivano Dal Prete (né en 1971) a retrouvé un ouvrage de Fausto da Longiano imprimé en 154218Ivano Dal Prete, 2014. « Being the World Eternal: The Age of the Earth in Renaissance Italy », in : Isis volume 105, numéro 2, pp. 292 – 317. Texte en anglais. Cet ouvrage traite de la science météorologique19Fausto da Longiano, 1542. Meteorologia, Venise. Texte en italien ancien., laquelle à l’époque couvrait un champ plus large qu’aujourd’hui, incluant par exemple la géologie et l’océanographie. Alors que la langue qu’utilisaient entre eux les savants de l’époque était le latin, cet ouvrage est rédigé en italien (ancien) : il s’agit d’un ouvrage de vulgarisation.
En effet, l’imprimerie était alors en plein expansion, Johannes Gutenberg (vers 1400 – 1468) ayant introduit en Europe les caractères d’imprimeries amovibles un siècle auparavant20Au sujet de l’importance de l’imprimerie sur l’évolution de la pensée, le travail séminal me semble être : Elizabeth Eisentstein, 1979. The Printing Press as an Agent of Change: Communications and cultural transformations in early-modern Europe, Cambridge University Press, New York. Texte en anglais. L’autrice en a réalisé une version dédiée au grand public : Elizabeth Eisenstein, 1983. The Printing revolution in early modern Europe, Cambridge University Press, Cambridge, United Kingdom. Texte en anglais. Une traduction française par Maud Sissung et Marc Duchamp : Elizabeth Eisenstein, 1991. La Révolution de l’imprimé : À l’Aube de l’Europe moderne, La Découverte, Paris.. Leurs prix ayant considérablement baissé, un nouveau public pour les livres s’était constitué. On a donc vu apparaître des ouvrages de tous types, pas uniquement destinés aux érudits. Parmi ces ouvrages, de nombreux visait à vulgariser les savoirs de l’époque.
L’âge de la Terre
Nous avons donc là un ouvrage pouvant potentiellement s’adresser au tout venant – certes, lequel doit tout de même savoir lire. Son propos est de présenter ce qui est communément admis, plutôt que d’aborder des sujets potentiellement polémiques. Or, comme déjà indiqué, ce que nous appelons désormais géologie faisait partie du sujet que l’auteur entendait développer. Dans le livre, il aborde donc la question de l’âge de la Terre.
Dans l’Encyclopédie, les articles relatifs aux fossiles ou au Déluge décrivent les siècles précédents sa publication comme dominé par l’histoire de la Création telle que relatée dans la Genèse, en accord avec le littéralisme biblique, c’est-à-dire l’interprétation à la lettre de tout ce qui est écrit dans la Bible. Or, en suivant ce littéralisme, le Monde aurait été créé environ 4 000 ans avant J.-C., précisément le 22 octobre en 4004 avant J.-C. selon les calculs de James Ussher21James Ussher, 1650. The Annals of The World, E. Tyler, Londres. Texte en anglais. Disponible en ligne. (1581 – 1656).
Si véritablement, comme l’indiquent les encyclopédistes, la pensée occidentale de l’époque était dominée par le littéralisme biblique, Fausto da Longiano devrait indiquer que le Monde n’avait pas plus de 6 000 ans. Cependant, il n’en est rien : l’ouvrage présente une conception, certes aristotélicienne, selon laquelle la lente érosion due aux eaux courantes et l’accumulation de débris au fond de l’océan provoque le renouvellement du plancher océanique, lequel se déplace cycliquement à la surface de la Terre, en laissant derrière lui de nouvelles zones émergées et de nouvelles montagnes. Un phénomène présenté comme trop lent pour être humainement perceptible. Il est même indiqué que le sol est entièrement renouvelé tous les 36 000 ans et que cette durée n’est pas un problème, le Monde étant présenté comme éternel.
Soit dit en passant, si vous vous posez la question, l’âge de la Terre est aujourd’hui solidement évalué à environ 4,55 milliards d’années22Voir par exemple : Hubert Krivine, 2011. « Histoire de l’âge de la Terre », in : Images de la physique 2011, pp. 15 – 20. Disponible en ligne..
Mais que fait l’Église ?
Autre point qui mérite l’attention : dans l’ouvrage de Fausto da Longiano, il n’est pas question de la Genèse. Cependant rien n’indique que son auteur ait pu considérer que ses lecteurs aient pu être surpris ou offensés par ce qu’il écrit. De même, Ivano Dal Prete n’a trouvé aucun élément indiquant que l’Église lui ait su quelque grief. Tout indique que l’ouvrage ne fait que condenser un ensemble de connaissances assez largement répandues à l’époque.
Pour éviter une dilution de mon propos, je ne vais pas intégralement reprendre l’article d’Ivano Dal Prete, pour intéressant qu’il soit. Pour résumer, il a cherché d’autres ouvrages scientifiques de l’époque, tant en langues vernaculaires qu’en latin, tant destinés à une certaine vulgarisation que s’adressant à des érudits. Il a retrouvé plusieurs ouvrages indiquant l’ancienneté de la Terre, certains émanant même d’individus hauts placés dans la hiérarchie de l’Église catholique. Cette idée est présentée comme valable au moins à partir du début du xiiie siècle, alors que l’enseignement d’Aristote gagne les universités européennes.
Cependant, on comprend aisément que les auteurs des Lumières aient présenté la vision biblique d’un Monde jeune comme dominante, dans la mesure où le Manuel des inquisiteurs de Nicolas Eymerich (vers 1320 – 1399) classifie comme hérésie l’éternité du Monde23Nicolau Aymerich, 1376. Directorium Inquisitorum. Texte en latin. L’ouvrage sera augmenté (la taille en faisant plus que doubler) par Francisco Peña en 1578. Une traduction en français par Louis Sala-Molins : Nicolas Eymerich et Francisco Peña, 2002. Le Manuel des inquisiteurs, Albin Michel.. Ainsi, en dépit du fait qu’il apparaît que cette dernière idée était assez répandue, il y avait clairement de fortes et même violentes oppositions à son encontre. Nous allons voir plus bas d’autres exemples de ce genre d’opposition, mais dans un premier temps, il convient d’éclairer ce qui était la position de l’Église.
La Bible est-elle parole d’évangile ?
Ce qui est certain, c’est que l’Église réprouve l’idée que le Monde n’ait pas été créé par Dieu. On l’a vu également, vers la fin du Moyen-âge, elle semble prendre position contre l’idée qu’il puisse être éternel. Pour le reste, la façon exacte dont les choses se sont passées ne l’intéressait pas vraiment.
Ce que la Bible dit de la science
De toute façon, la Bible ne dit pas grand-chose sur les sujets de science (entendu dans son acception actuelle), à l’exception de l’histoire – sur ce dernier sujet, l’Église ne permettait pas que l’on remît en cause le récit biblique. Toutefois, concernant le mouvement de la Terre dans le Système solaire, on peut trouver quelques passages abordant le sujet. Ils se situent dans l’Ancien testament, à commencer par Josué 10.12-13. Au passage, notons que dans cet article je reprends la traduction de la Bible de Jérusalem, qui semble la version la plus répandue dans le monde francophone, même si je préfère celle de la Traduction œcuménique de la Bible (les deux versions ne sont pas très différentes) :
« C’est alors que Josué s’adressa à Yahvé, en ce jour où Yahvé livra les Amorites aux Israëlites. Josué dit en présence d’Israël : « Soleil, arrête-toi sur Gabaôn et toi, Lune, sur la vallée d’Ayyalôn ! » Et le Soleil s’arrêta et la Lune se tint immobile jusqu’à ce que le peuple se fût vengé de ses ennemis. Cela n’est-il pas écrit dans le livre du Juste ? Le Soleil se tint immobile au milieu du Ciel et près d’un jour entier retarda son coucher. »
S’il est indéniable que le passage prétend que les mouvements apparents du Soleil et de la Lune ont été suspendus, en définitive il n’implique pas que ce soit le Soleil qui tourne autour de la Terre ou l’inverse, puisqu’il n’est question que de l’observation qui a pu être faite depuis la Terre.
D’autres éléments, en fonction de la traduction adoptée, peuvent être interprétés comme portant sur la position de la Terre relativement aux autres astres. Ainsi, 1 Chroniques 16.30 indique : « […] Il fixa l’univers, inébranlable ». Également, Psaume 93.1 et Psaume 96.10 déclarent : « […] le monde est stable, point ne bronchera. » Ensuite, Psaume 104.5 affirme : « Tu poses la Terre sur ses bases, inébranlable pour les siècles des siècles. » Enfin, Ecclésiaste 1.5 énonce : « Le Soleil se lève, le Soleil se couche, il se hâte vers son lieu et c’est là qu’il se lève. »
En définitive, force est de constater que ces formulations sont vagues, voire parfois confinent à la banalité. S’il est bien question de stabilité dans l’ordre de l’Univers, ces éléments ne signifient pas forcément que la Terre soit immobile en son centre, ni même qu’il y ait le moindre sens à parler de centre de l’Univers.
L’impossible littéralisme
C’était d’ailleurs le point de vue de Galilée : pour lui, si véritablement Dieu avait voulu dire l’organisation du Monde, alors la Bible ne se contenterait pas de donner sur le sujet aussi peu d’éléments exprimés de manière aussi allusive24Les lettres de Galilée exposant ce point de vue ont notamment été publiées dans : Paul Poupard, 2005. L’Affaire Galilée, Éditions de Paris.. Dit avec des termes plus moderne, la religion – d’autant que, comme je l’ai déjà indiqué, il n’existe pas de définition positive de « Dieu » – n’a pas le même statut ontologique que la science, elle ne peut donc pas servir pour déterminer la validité d’un fait scientifique. Cela signifie également que le littéralisme biblique ne tient pas.
Cette impossibilité du littéralisme biblique était d’ailleurs théologiquement établie de longue date. Notamment en raison de la question de la parousie. En effet, le récit biblique indique que Jésus reviendra sur Terre – la deuxième venue, dénommée, donc, parousie. Le moment de la parousie est d’ailleurs indiqué dans Matthieu 24.34, Marc 13.30 et Luc 21.32, ces évangiles devant rapporter les paroles de Jésus :
« En vérité je vous le dis, cette génération ne passera pas que tout cela ne soit arrivé. »
L’indication n’est certes pas très précise, car la date exacte ne serait connu que de Dieu (Matthieu 24.36), mais il est tout de même indiqué que la parousie devait se produire dans la génération qui suit les sermons de Jésus. Cela posait déjà problème à l’époque de la rédaction des évangiles, qui ont vraisemblablement été composés entre 70 après J.-C. et 90, à plus ou moins dix ans près25Voir par exemple : Raymond Edward Brown, 1997. An Introduction to the New Testament, Doubleday, New York City. Une traduction française par Jacques Mignon : Raymond Edward Brown, 2011. Que sait-on du Nouveau Testament, collection Domaine biblique, 3e édition, Bayard, Montrouge, France. (c’est-à-dire environ une génération après les évènements). Ainsi, la deuxième épître de Pierre, probablement rédigée au début du iie siècle, indique-t-elle que la parousie a déjà eu lieu mais que les sceptiques ne savent pas en voir les signes (2 Pierre 3.1-13).
Augustin d’Hippone (354 – 430) s’est penché sur ce problème26Aurelius Augustinus, 413-426. De Civitate Dei contra paganos. Disponible en ligne. Une version française est en cours de traduction : Olivier Bertrand (éditeur), 2013-2015. La Cité de Dieu de saint Augustin traduite par Raoul de Presle, Champion, Paris. Disponible en ligne.. Il a constaté que 2 Pierre 3.8 indique :
« […] devant le Seigneur, un jour est comme mille ans et mille ans comme un jour. »
Ce qui l’a conduit aux raisonnements suivants (La Cité de Dieu, livre XX, chapitre 7) :
« Pour les mille ans, on peut les entendre de deux manières : ou bien parce que ces choses se passent dans les derniers mille ans, c’est-à-dire au sixième millénaire, dont les dernières années s’écoulent présentement […] de sorte que l’Écriture appelle ici mille ans la dernière partie de ce temps, en prenant la partie pour le tout ; – ou bien elle se sert de ce nombre pour toute la durée du monde, employant ainsi un nombre parfait pour marquer la plénitude du temps. »
Puis :
« D’ailleurs, si l’Écriture se sert de cent pour un nombre indéfini, comme lorsque Notre-Seigneur promet à celui qui quittera tout pour le suivre : « qu’il recevra le centuple dès cette vie27Matthieu 19.29, Marc 10.30. » […] combien plus le nombre de mille ans doit-il signifier l’universalité. Aussi est-ce le meilleur sens qu’on puisse donner à ces paroles du psaume : « Il s’est toujours souvenu de son alliance et de la promesse qu’il a faite pour mille générations28Psaumes 105.8. » ; c’est-à-dire pour toutes les générations. »
Pour le synthétiser en le disant de manière plus moderne, Augustin en a déduit que Dieu est hors du temps et donc qu’on ne peut prendre les indications temporelles au pied de la lettre. En conséquence, le texte ne peut pas être lu de manière littérale. Il était donc clairement établi dès le milieu du ve siècle que la Bible ne pouvait pas être interprétée littéralement.
Bien entendu, au cours du Moyen-âge la vie intellectuelle était fortement encadrée et certaines idées ont été violemment réprimées29Sur le sujet, on pourra consulter avec intérêt : Robert I. Moore, 2012. The War on Heresy: Faith and Power in Medieval Europe, Profile Books, Londres. Texte en anglais. Une traduction française par Julien Théry : Robert I. Moore, 2017. Hérétiques. Résistances et répression dans l’Occident médiéval, Belin, Paris., l’œuvre de François Rabelais (1483 ou 1494 – 1553), par exemple, en porte notamment le témoignage. Néanmoins, nous avons vu que des éléments poussent à remettre en cause la présentation faite par les encyclopédistes de l’évolution des idées. Sur les questions de science, qui forment le sujet particulier de cet article, la liberté semblait plus grande que ce que l’on prétend souvent. Pour préciser, retournons à la redécouverte d’Aristote par l’Occident.
Une ambivalente domination
Car il se trouve que l’enseignement d’Aristote avait, pour partie, été oublié en Occident. C’est surtout à Byzance, puis dans le monde musulman, qu’il a été préservé. Durant la renaissance du xiie siècle (une période de renouveau du monde culturel dans l’Europe du Moyen-âge), l’École de Chartres va redécouvrir le philosophe grec30Voir par exemple : Jean Le Goff, 1990. La Civilisation de l’Occident médiéval, Arthaud, Paris., puis Albrecht von Bollstädt, dit Albert le Grand, (autour de 1200 – 1280) en traduit les écrits depuis le grec vers le latin et les commente, entre autres travaux. Thomas d’Aquin (1224 ou 1225 – 1274) se fondera sur cette œuvre pour construire la sienne. La scolastique – pour laquelle le système philosophique d’Aristote est une base essentielle, quoi qu’après avoir subi quelques modifications – est alors clairement établie, même si elle connaîtra des évolutions au fil du temps. Elle va se répandre dans les universités et les académies.
Dès lors, la scolastique sera le principal système de pensée de la chrétienté. De part sa position centrale dans cette philosophie, le système aristotélicien est donc bien le système dominant de l’époque.
Cependant, cette domination n’était pas exempte d’ambivalence. Ainsi, de son vivant, Thomas d’Aquin était-il au cœur de querelles universitaires, notamment face aux ordres mendiants tels que les franciscains et même à certains maîtres des arts (c’est-à-dire des enseignants)31Voir par exemple : Jean-Pierre Torrell, 1993. Initiation à saint Thomas d’Aquin, Cerf, Paris.. Plus encore, dès 1270 puis 1277, Étienne Tempier (1210 – 1279), alors évêque de Paris, condamne 219 propositions, parmi lesquels une quinzaine relève de la pensée aristotélicienne32Stephani Tempier, 1270 puis 1277. Codempnationes, Paris. Texte en latin. Disponible en ligne. Une traduction française par David Piché : Étienne Tempier, 2002. La Condamnation parisienne, Vrin, Paris. Disponible en ligne. – cependant, cette condamnation portait plus sur les formulations d’Averroès (1126 – 1198) que sur celles de Thomas d’Aquin. D’autres condamnations eurent lieux, ainsi qu’au contraire des défenses, Thomas d’Aquin étant d’ailleurs canonisé en 1323 par le pape Jean XXII (Jacques Duèze dit Jean XXII, 1244 – 1334).
Ainsi, pendant toute la seconde moitié du moyen-âge, le système aristotélicien, pour dominant qu’il soit, est-il interrogé, critiqué, amandé, modifié. Ceci sans que les auteurs de ces critiques ne soient inquiétés par les autorités religieuses. On est donc loin d’un système dont la remise en question serait interdite. Toutefois, la vision des Lumières n’est pas entièrement erronée. D’autant qu’un tournant majeur dans la pensée chrétienne va tout changer : le protestantisme.
Réforme protestante et réaction catholique
Je pense que vous commencez à bien intégrer que le changement de système philosophique, en l’espèce plutôt l’émancipation de la science d’avec la philosophie, est bien plus le résultat d’une longue maturation que d’un changement brutal dans la façon de penser de certains. En conséquence, je pense que vous serez assez facilement convaincu que, de même, l’apparition du protestantisme est le résultat d’un cheminement sur le temps long. Le résumer rapidement tient donc de la gageure, que je dois pourtant essayer de relever ici – et, à mon grand dam, probablement ne pas totalement remplir33Pour une présentation plus complète des différents courants qui ont conduit à la Réforme protestante, on pourra par exemple consulter : Pierre Chaunu, 1977. Le Temps des réformes : La Crise de la chrétienté, l’éclatement (1250-1550), Fayard, Paris..
Interroger les pratiques de l’Église
Si l’utilisation des caractères mobiles d’imprimerie, en facilitant la diffusion des livres et donc leur accès, a joué un rôle important, on peut considérer que l’évènement qui va cristalliser en 1517 la formation du mouvement protestant est la publication par Martin Luther (1483 – 1546), en le placardant sur la porte de son église, du texte souvent désigné sous le nom des 95 thèses34Martinus Luther, 1517. Disputatio pro declaratione virtutis indulgentiarum, Wittemberg, Saint empire romain germanique. Texte en latin, disponible en ligne. Une traduction en français : Martin Luther, 1517. Dispute sur la puissance des indulgences. Disponible en ligne..
Encore une fois, cette publication est le résultat d’un processus de fond, mais c’est le moment où il devient véritablement apparent. Elle va mettre en évidence des interrogations quant aux pratiques de l’Église. Martin Luther s’en prenait d’abord aux indulgences, c’est-à-dire la pratique qui consistait à acheter le pardon au moyen de dons plus ou moins généreux auprès de l’Église. Cependant, le questionnement portait en définitive sur une grande partie des pratiques de l’Église catholique.
Je pense enfoncer une porte ouverte en relevant qu’à l’époque l’Église était devenue un pouvoir politique et financier essentiel dans l’Occident, en plus d’être la référence morale et religieuse35Au sujet de l’histoire et de la place de l’Église catholique au cours des siècles, on pourra par exemple consulter : Jean-Robert Armogathe et Yves-Marie Hilaire, 2010. Histoire générale du christianisme, PUF, Paris.. Cependant, la facilitation de la propagation des œuvres imprimées a permis à un nombre grandissant de se demander si un tel pouvoir politique et financier était à la fois bien légitime et en accord avec les enseignements d’un Jésus-Christ qui aurait expulsé les marchands du Temple36Matthieu 21.12-17 ; Marc 11.15-19 ; Luc 19.45-48 et Jean 2.13-16. et dont le magistère est présenté comme purement spirituel et non pas séculier.
Le mouvement de la Réforme protestante entend donc en revenir à des pratiques qui serait plus en accord avec les origines du christianisme. Toutefois, on peut remarquer qu’à l’époque et même encore maintenant il était difficile de véritablement évaluer quelles pouvaient être les pratiques des premiers chrétiens, d’autant qu’ils se rassemblaient en communautés aux pratiques diverses, pour ne pas dire opposées37Sur le sujet des premiers chrétiens, on pourra par exemple consulter : Marie-Françoise Baslez (dir.), 2004. Les Premiers temps de l’Église : De Saint Paul à saint Augustin, Folio Histoire, Paris.. En vérité, le mouvement protestant s’inscrit véritablement dans les questionnements de son époque, en rapport avec la vie culturelle d’alors.
Concernant le système de Copernic, point de départ de cet article, il semble bien, au moins dans la période de son apparition, que les protestantismes y étaient opposés. Ainsi, si Martin Luther ne s’est que peu exprimé sur le sujet, on trouve une condamnation très claire de l’héliocentrisme dans ses Propos de tables38Martin Luther, 1566. Tischreden, édité par Johannes Mathesius, J. Aurifaber, V. Dietrich, Ernst Kroker et collab., Eisleben, Saint empire romain germanique. Textes en latin. Une traduction française par Louis Sauzin : Martin Luther, 1992. Propos de table, Aubier, Paris. Disponible en ligne. L’entrée à laquelle je réfère porte le numéro 4 638.. Il semble bien également que Jean Calvin (1509 – 1564), autre fondateur d’un mouvement protestant, y était opposé39Voir par exemple : Richard Stauffer, 1971. « Calvin et Copernic », Revue de l’histoire des religions, 179 (1), pp. 31 – 40. Disponible en ligne..
La réaction de l’Église
Toujours est-il qu’une volonté de réforme, d’abord de l’intérieur, va se faire entendre. Cette volonté va se confronter à une opposition qui remportera plusieurs victoires, tandis qu’elle-même prendra une forme de plus en plus radicale. Ainsi Martin Luther sera-t-il excommunié en 1521 par le pape Léon X (Jean de Médicis dit Léon X, 1474 – 1521)40Leo X, 1521. Decet Romanum Pontificem, Vatican. Texte en latin. Disponible en ligne via Wikimedia. Une traduction en anglais est disponible en ligne., alors qu’il avait montré une opposition de plus en plus ferme au pouvoir papal.
Ceci ne mettra pas fin à ces oppositions et, comme le souhaitait Martin Luther, le pape Paul III (Alexandre Farnèse dit Paul III, 1468 – 1549) convoqua en 1542 un concile en la ville italienne de Trente41Pour des détails sur ce concile, on pourra se référer à : Alain Tallon, 2000. Le Concile de Trente, collection Histoire, Cerf, Paris.. Ce concile débuta en 1545 et dura 18 années, pour s’achever en 1563. Si toutefois d’aucuns avaient encore l’espoir de réaliser une réforme de l’intérieur, cet espoir sera déçu. Le concile de Trente sera plutôt le lieu de l’organisation de ce qu’on appellera plus tard la Contre-réforme, qui s’oppose au protestantisme.
Reprendre en main les universités
Pour endiguer la contamination par la Réforme, l’Église catholique va chercher à fortement reprendre en main l’enseignement des universités – selon les termes de l’époque, les facultés des arts, par opposition à la faculté de théologie –, jugées trop indépendantes – après tout, cette réforme est le produit de la mise en cause des enseignements de l’Église. Une liste d’ouvrages dont la lecture est interdite aux chrétiens, l’Index librorum prohibitorum42Romæ Inquisitionis, 1559. Index Auctorum et librorum prohibitorum, Romæ ex officina. Texte en latin. Disponible en ligne. (souvent simplement désigné comme l’« Index »), va être créé. À bien y regarder, avec la Contre-réforme, ce qui est réaffirmé, c’est bien l’autorité de l’Église.
Cette volonté de renforcer l’autorité du pape avait fait jour dès les débuts de la Réforme protestante. Par exemple, plusieurs des positions d’Aristote concernant la mortalité de l’âme seront condamnées par Léon X dès 151343Leo X, 1513. Apostolici Regiminis, bulle papale, Vatican. Texte en latin..
Cependant, pour revenir sur l’ambivalence vis-à-vis d’Aristote, constatons que le concile de Trente va réaffirmer comme partie du dogme la transsubstantiation au cours de l’eucharistie. La transsubstantiation a été formalisée par Thomas d’Aquin en s’appuyant sur la métaphysique d’Aristote44Voir par exemple : Yves Gingras, 2010. « L’Atomisme contre la transsubstantiation », La Recherche n° 446, pp. 92 – 94.. Selon Aristote, la matière est composée de qualités premières (la substance elle-même) et de qualités secondes (les sensations). La transsubstantiation consiste en la modification des qualités premières de l’hostie et du vin qui serait effectivement converties en corps et sang du Christ, tandis que les qualités secondes, c’est-à-dire tant le goût que la consistance, ne sont pas modifiées.
Cette partie du dogme deviendra un point d’opposition entre l’Église catholique et les églises réformées. Surtout, constatons qu’en dépit d’une condamnation partielle, le système aristotélicien est utilisé pour réaffirmer le dogme catholique.
Il semble donc bien que c’est en réaction à la réforme protestante que le Vatican va véritablement se mêler des sujets de science. En définitive, les artisans de la Réforme protestante et ceux de la Contre-réforme ont mutuellement provoqué un durcissement des positions chez la partie adverse.
À ce stade, les écrits de Copernic ne sont pas portés à l’Index : après tout, ce qui importait à la papauté à l’époque, c’était de lutter contre le protestantisme. Ce sont les travaux de Galilée, plus d’un demi-siècle plus tard, qui vont amener la congrégation de l’Index à s’intéresser de nouveau aux publications de Copernic45Au sujet des tenants et aboutissants du procès de Galilée, on pourra se référer à : Francesco Berreta (dir.), 2005. Galilée en procès, Galilée réhabilité ?, Éditions Saint-Augustin, Saint Maurice, Suisse..
Le procès de Galilée
En effet, le frère dominicain Tommaso Caccini (1574 – 1648) avait prononcé en décembre 1614 un sermon contre les mathématiciens, dénonçant notamment le soutien de Galilée à la théorie copernicienne. En réponse, les partisans de Galilée ont diffusé une lettre de Galilée rédigée un an plus tôt défendant la position de l’accommodation (que j’ai déjà mentionné plus haut) : elle affirme que la Bible est compatible avec l’héliocentrisme et que, la cosmologie ne concernant pas le salut des âmes, en ce domaine la science est indépendante de la théologie. En conséquence, les exégètes doivent adapter leurs interprétations aux découvertes des savants.
Un fragile compromis
Ainsi, non seulement Galilée se mêle-t-il de théologie, mais en plus affirme-t-il qu’il y a des domaines où l’autorité de l’Église ne peut être considérée comme souveraine. Si vous avez suivi, vous devriez constater que cette position est contraire à la tendance initiée depuis le concile de Trente. Il importait donc de ramener Galilée à sa place. En conséquence, Caccini dénonce Galilée au tribunal de l’Inquisition le 20 mars 1615.
On constate donc que cette première dénonciation n’a pas de base scientifique, son fondement étant clairement politique.
Cependant, dans un premier temps Galilée va se soumettre et un compromis sera mis en place en 1616 : Galilée ne sera pas condamné, tandis que les écrits de Copernic dans leur version originale seront portés à l’Index. Néanmoins, en raison de leur utilité dans les calculs astronomiques, une version amandée allant dans le sens de l’avertissement d’Ossiander sera autorisée, qui énonce donc le système comme une simple hypothèse de calcul. Ce dernier est ainsi présenté comme permettant certes des calculs bien plus précis que celui de Ptolémée, mais ne devant pas être considérés comme reflétant la réalité. Par cet acte de soumission, la primauté du théologien est réaffirmée.
Vers 1624, le pape Urbain VIII (Maffeo Barberini dit Urbain VIII, 1568 – 1644) enjoint Galilée à réaliser un ouvrage présentant équitablement le géocentrisme et l’héliocentrisme. Le résultat, le Dialogue sur les deux grands systèmes du monde, paraît en 163246Galileo Galilei, 1632. Dialogo sopra i due massimi sistemi del mondo, Batista Landini, Florence. Texte en italien. Disponible en ligne. Une traduction française par René Fréreux et François de Gandt : Galilée, 2000. Dialogue sur les deux grands systèmes du monde, collection Point Sciences, Seuil, Paris.. À la lecture de l’ouvrage, le système copernicien apparaît clairement comme plus fondé que le système ptolémaïque. Par ailleurs, à l’époque, les soutiens politiques de Galilée étaient soit décédés, soit en position de faiblesse. En conséquence, le compromis de 1616 sera considéré comme bafoué, Galilée sera condamné en 1633 à abjurer l’héliocentrisme et ses ouvrages, ainsi que ceux de Copernic y compris dans leurs versions amandées, seront portés à l’Index.
S’agissait-il d’un acte de défi ?
Qu’il me soit permis d’ouvrir une parenthèse. On entend parfois dire que Galilée avait fait preuve d’arrogance, qu’il aurait défié la papauté. Certes, il semble bien que Galilée ait eu un égo important et qu’il ait tenté de presser son avantage au moment de la publication du Dialogue sur les deux grands systèmes du monde, entre autres maladresses. Cependant, il est assez peu envisageable qu’il ait sciemment pris le risque de s’attirer les foudres du pape.
En revanche, à ce moment il avait rassemblé suffisamment d’éléments pour conclure à l’invalidité du système ptolémaïque. En conséquence, une présentation équilibrée ne pouvait pas présenter les deux systèmes comme également probable, cela aurait été du favoritisme envers Ptolémée. Par ailleurs, l’Église, alors qu’elle cherchait à réaffirmer son autorité, présente bien évidemment comme une arrogance le fait de tenir une position qu’elle réprouve, comme elle l’avait fait précédemment, par exemple, au sujet de Giordano Bruno (1548 – 1600) – lequel, comme je l’ai déjà précisé, a bien été condamné pour ses positions théologiques plutôt que ses vues cosmologiques.
Les conséquences de la condamnation
Suite au procès de Galilée, dans un premier temps l’Église semble triompher : une fois de plus le savant a dû se soumettre, l’autorité théologique semble l’emporter. René Descartes (1596 – 1650) renoncera même à publier son Traité du monde et de la lumière47Voir par exemple : Samuel S. de Sacy, 1996. René Descartes, deuxième édition, Seuil, Paris., achevé dès 1633 et qui ne paraîtra qu’à titre posthume48René Descartes, 1664. Traité du monde et de la lumière., lequel prenait parti en faveur de l’héliocentrisme.
Cependant, après sa condamnation Galilée publiera encore un ouvrage qui contredit clairement la physique aristotélicienne49Galileo Galilei, 1638. Discorsi e Dimostrazioni Matematiche Intorno a Due Nuove Scienze, Leyde, Hollande. Texte en italien. Disponible en ligne. Une traduction française par Maurice Clavelin : Galilée, 1995. Discours concernant deux sciences nouvelles, PUF.. Par ailleurs, le rejet de la physique aristotélicienne deviendra rapidement la norme, notamment avec les travaux de Newton, tandis que les Lumières achèveront de débarrasser le monde intellectuel de la scolastique. Après cet apparent triomphe, l’Église ne sera bientôt plus en mesure d’imposer ses vues aux scientifiques.
Les ouvrages de Copernic et Galilée seront retirés de l’Index en 1757 et 183550Voir par exemple : Pierre-Noël Mayaud, 1997. La Condamnation des livres coperniciens et sa révocation à la lumière de documents inédits des Congrégations de l’Index et de l’Inquisition, Université pontificale grégorienne. Partiellement disponible en ligne.. En 1981, le pape Jean-Paul II (Karol Józef Wojtyła dit Jean-Paul II, 1920 – 2005) crée une commission spéciale en vue de réexaminer la condamnation de 163351Voir par exemple : Massimo Bucciantini, Antonella Romano, Francesco Beretta, Catherine Brice, Maria Pia Donato, Guillaume Cuchet et Faouzia Charfi, 2017. « L’Affaire Galilée » (dossier), L’Histoire n° 440, pp. 36 – 65.. En 1992, il affirmera que cette condamnation était une erreur, déclarant même que Galilée s’était avéré un meilleur théologien que les théologiens de l’époque.
L’Église catholique va alors réagir lentement, mais deviendra plus ambiguë dans ses volontés à imposer ses vues en matière scientifique, quitte à laisser dans l’ombre certains points irrésolus. Par exemple, elle préférera ne pas condamner directement Charles Darwin52Charles Darwin, 1859. On the Origins of Species by Means of Natural Selection, or the Preservation of Favoured Races in the Struggle for Life, John Murray, Londres. Texte en anglais. Disponible en ligne. Une traduction en français par Aurélien Berra, sous la direction de Patrick Tort et la coordination de Michel Prum : Charles Darwin, 2009. L’Origine des espèces, Champion (poche) & Slatkine (grand format), Genève. Disponible en ligne. (1809 – 1882), mais néanmoins porter à l’Index des ouvrages d’autres auteurs prenant le parti de l’évolution : en dépit du fait qu’elle répugne à l’idée d’une évolution des espèces, ne pas s’en prendre directement à Darwin vise à éviter de créer un nouveau cas semblable à celui de Galilée53On consultera avec intérêt l’ouvrage suivant : Yves Gingras, 2016. L’Impossible dialogue, PUF, Paris.. De sorte que, quoique hostile à l’idée d’évolution, elle en abandonna l’opposition frontale aux églises réformées. Toutefois, Jean-Paul II indiquera tout de même en 1996 que l’évolution est plus qu’une hypothèse.
Ces développements vous auront, je l’espère, convaincus que, contrairement à ce qu’ont affirmé les tenants des Lumières, il n’y a pas eu un soudain passage de l’obscurantisme à la raison, mais une série d’évolutions et de mouvements contraires. Il ne faut toutefois pas trop leur en vouloir : ils se sont certes laissés emporter par leur militantisme, cependant la science historique n’était pas vraiment développée à leur époque et ils ont tout de même été à l’origine de nombreux progrès scientifiques et culturels. Simplement, il convient de remettre en perspective leurs points de vue à l’aune de nos connaissances actuelles.
La science n’est pas uniquement occidentale
Par ailleurs, il me semble également important de ne pas oublier que tous les développements scientifiques ne viennent pas de l’Occident. Par exemple, comme je l’ai indiqué plus haut, le monde arabe a permis de conserver et de faire perdurer l’héritage antique grec. Non seulement a-t-il conservé les sciences grecques, mais également les a-t-il fait évoluer, notamment en en critiquant les aspects occultes, telles la magie et l’astrologie54Voir par exemple : F. Jamil Ragep et Sally P. Ragep (éditeurs), avec Steven Livesey, 1996. Tradition, Transmission, Transformation. Proceedings of two Conferences on Pre-modern Science held at the University of Oklahoma, E .J. Brill, Leiden, New York, Köln. Textes en anglais.. En ce sens, le courant qui mènera aux méthodologies scientifiques modernes y est déjà en germe.
S’il semble bien que Copernic n’a jamais été en contact direct avec le moyen-orient, il est plus que probable qu’il se soit familiarisé avec les penseurs arabes au cours de ses études en Italie, notamment à l’université de Bologne. C’est en partant de textes anciens qu’il a développé un système astronomique complet, qui ne peut être résumé au seul héliocentrisme55On pourra notamment se reporter à : Thomas Samuel Kuhn, 1957. The Copernican Revolution, Harvard University Press, Cambridge, Massachusetts, États-Unis d’Amérique. Texte en anglais. Une traduction française par Alain Segonds : Thomas Samuel Kuhn, 2016. La Révolution copernicienne, collection l’Âne d’or, Les Belles lettres, Paris..
Ainsi, le moyen-orient n’a-t-il pas simplement joué le rôle de conservateur de la philosophie grecque, mais en a-t-il également été le continuateur. Sur les quelques sujets abordés dans cet article, j’ai cité des sources provenant de l’antiquité gréco-latine, de l’Inde, du monde arabe et de l’Occident. Une certaine forme d’ethnocentrisme a mené d’aucuns à penser que la science était d’abord une création occidentale. De manière intéressante, des tenants d’un islam rigoriste, par exemple, rejoignent cette idée et parle d’une science occidentale56Sur ce sujet sensible et important, l’ouvrage suivant présente des éléments mieux que je ne peux le faire : Faouzia Charfi, 2013. La Science voilée, Odile Jacob, Paris..
Cependant, l’histoire des sciences et technique, mais plus généralement celle des idées, montre plutôt des échanges réguliers entre les différentes aires culturelles. Par exemple, les caractères mobiles d’imprimerie que j’ai mentionnés plus haut et qui ont permis un essor culturel nous viennent de Chine. Ces échanges existent de longue date : déjà la roue57Le lecteur intéressé par l’histoire de la roue, ainsi que les origines des langues indo-européennes pourra se reporter à : David W. Anthony, 2007. The Horse, the Wheel, and Language: How Bronze-Age Riders from the Eurasian Steppes Shaped the Modern World, Princeton University Press, New Jersey, États-Unis d’Amérique. Texte en anglais.…
Une vision plus moderne
Plus récemment, au cours du xxe siècle, l’idée de révolution scientifique en épistémologie et philosophie des sciences a été repensée suite au constat que ces révolutions étaient en réalités les héritières de travaux qui les précèdent. Par exemple, pour Gaston Bachelard (1884 – 1962), fortement marqué par la psychanalyse, l’histoire des sciences est-elle ponctuée par une série de ruptures58Gaston Bachelard, 1938. La Formation de l’esprit scientifique, Vrin, Paris. Disponible en ligne.. Ces ruptures permettent de dépasser ce qu’il nomme « obstacles épistémologiques », c’est-à-dire lorsque les anciennes théories échouent à expliquer un phénomène observé. Les révolutions scientifiques serait donc le moteur du progrès de l’humanité.
Par contraste, pour Thomas Samuel Kuhn59Thomas Samuel Kuhn, 1962. The Structure of Scientific Revolutions, University of Chicago Press. Texte en anglais. Une traduction française par Laure Meyer : Thomas Samuel Kuhn, 1972. La Structure des révolutions scientifiques, Flammarion. (1922 – 1996), les révolutions scientifiques ne sont pas le remodelage des concepts et axiomes en usage. Selon lui, les révolutions scientifiques doivent être envisagées également comme un phénomène social. Pour lui, les pratiques de la science consistent ordinairement à utiliser et préciser les paradigmes usuels. Il introduit donc en épistémologie la notion de paradigme, désignant un ensemble d’observations avérées, un système explicatif de cet ensemble d’observations ainsi qu’une méthodologie pour leur étude. Les révolutions scientifiques seraient alors des moments de crises, pendant lesquels un ou plusieurs paradigmes sont remis en cause.
La forte tendance au relativisme des positions de Thomas Khun, ainsi que le fait, par exemple, que l’histoire des sciences de la nature montre que plusieurs paradigmes concurrents peuvent cohabiter en même temps et sur une période relativement longue sans qu’aucun ne s’impose sur les autres, ont conduit à leur remise en cause.
Est-il bien pertinent de parler de révolution ?
L’histoire des sciences est bel et bien émaillée de controverse, c’est-à-dire des moments où des théories entrent en concurrence. Dans de tels cas, les défenseurs de chaque théorie avancent tant des arguments en faveur de leur point de vue qu’en défaveur des points de vue opposés. L’évaluation de ces arguments et la recherche systématique de l’erreur conduisent alors à invalider certaines théories, voire, parfois, toutes les théories en concurrence.
Également, on trouve bien des moments de ruptures, lorsque certains éléments du consensus scientifique sont remis en cause, que de nouveaux domaines sont explorés ou encore que de nouvelles méthodologies sont mises en place. Cependant, l’étude de ces ruptures montre qu’elles sont généralement le résultat d’une maturation d’idées et de questionnements préexistants.
Les fragilités du concept
En revanche, l’idée de révolution scientifique me semble reposer sur une vision aristocratique de la science, qui progresserait par une série de ruptures dues à quelques rares individus qui verraient plus loin que les autres. Comme je l’ai déjà indiqué, non seulement ce point de vue m’apparaît erroné, mais également problématique.
Erroné d’abord parce qu’il ne correspond pas à la pratique que j’ai pu constater dans mon expérience personnelle : le travail scientifique est un travail collectif, qui même ne peut pas se faire de façon isolée. En effet, la base de ce travail consiste à se tromper, puis à chercher collectivement les erreurs. Également, c’est bien le travail collectif qui permet de rendre objective – entendu dans le sens « qui résiste au changement de point de vue » – une contribution donnée.
Problématique car l’idée selon laquelle les contributions de quelques-uns serait intrinsèquement supérieures à toutes les autres conduit à traiter ces contributions avec trop de déférence. Or, la pratique scientifique consiste non pas tant dans le doute que dans la recherche systématique de l’erreur. À traiter avec déférence une contribution au motif qu’elle serait due à un individu dont l’entendement est réputé supérieur à celui de tout autre conduit à ne plus réaliser cette recherche de l’erreur et donc à ne plus avancer, voire à se reposer sur des éléments invalides.
De plus, à ne vouloir regarder que les moments de cristallisation des éventuelles controverses ou ruptures on en vient à oublier que, dans la pratique de la science, les remises en causes sont permanentes. C’est d’ailleurs un point central de la pratique scientifique : la recherche systématique de l’erreur ne peut passer que par une constante remise en question. Si, effectivement, cette remise en cause permanente ne conduit proportionnellement que rarement à des controverses ou des ruptures, c’est justement parce que la validité des théories est en permanence questionnée. C’est ce qui les rend solides.
Encore une fois erronée, enfin, car comme on l’a vu avec les exemples abordés au long de cet article – il y en a biens d’autres, certains seront d’ailleurs abordés ultérieurement dans ce journal, – ce qui est présenté comme une rupture avec le ou les points de vue précédents est bien souvent le résultat d’un long processus dus à plusieurs contributeurs. Ainsi, en ne regardant que le côté purement scientifique, l’idée de révolution est problématique.
L’exemple de Galilée est ainsi significatif : s’il n’eut été question que de science, il apparaît assez clairement que l’acceptation n’aurait pas posée problème. Il avait en effet convaincu le milieu scientifique de son époque. Cependant, ses travaux sont entrés en collisions avec un contexte politique tendu, dans lequel l’Église catholique tentait de renforcer son pouvoir.
Ce que j’en pense
Mon point de vue est donc qu’une révolution scientifique n’est pas un évènement purement scientifique. Ce terme désigne en réalité un moment ou les évolutions scientifiques entrent en relation avec les questions de sociétés de l’époque. Les scientifiques ne sont eux-mêmes pas hermétiques à la société dans laquelle ils évoluent, aussi celle-ci influe-t-elle certainement sur les sujets sur lesquels ils se penchent. Cependant, dans le cas de ce que l’on qualifie de « révolution scientifique », il s’agit bien plutôt de cas où ce sont les avancées scientifiques qui influencent la société.
Dans la mesure où il s’agit d’une appellation bien pratique, j’utiliserais encore ce vocable dans ce journal. Cependant, je voudrais qu’il soit bien entendu qu’il s’agit en définitive de dénommer ces moments où les avancées scientifiques rencontrent les interrogations de l’époque.
D’où parles-tu camarade ?
Dans ce journal, j’ai notamment indiqué que l’on pouvait rendre le système aristotélicien compatible avec la Bible. Même si je ne renie pas cette formulation, mon objectif a toujours été d’en discuter : dans ce précédent article, je voulais d’abord mettre en avant la très grande compatibilité de ce système avec la pensée médiévale, en évitant de se focaliser sur les quelques points d’achoppement, réels, certes, mais finalement en faible nombre au vu de la taille du corpus. Cependant, je souhaitais revenir là-dessus, car c’est une formulation qui peut conduire à une fausse idée sur le statut historique du système aristotélicien. À commencer par l’idée qu’il eut été considéré comme complet et qu’il était interdit de le remettre en cause. Également, que ce statut n’ait pas évolué au cours du temps.
Mes propres limites
Bon, d’accord, je n’ai jamais été totalement satisfait de cette formulation, mais je l’avais utilisé faute de mieux au vu de mon propos d’alors. J’avais donc la ferme intention de revenir dessus, ce qui est l’un des buts du présent article. Il en allait de même avec le terme de « révolution scientifique ».
Mon objectif premier, dans cette série d’articles, est de présenter mes domaines de recherches. Je pense qu’il est plus abordable de présenter ces domaines par une approche historique. Également, je pense que cela me permet plus aisément de montrer comment se fait le travail scientifique, qui me semble également un élément important à présenter.
Cependant, je me retrouve confronté au risque de deux écueils.
Le premier est que, pour éviter de diluer mon propos, il m’est impossible de parler de toutes les ramifications. Cet article en est un exemple : je n’ai aucune prévention vis-à-vis de la longueur des articles, ni à rentrer dans le détail d’un sujet. Toutefois, ces sujets sont inépuisables, ce qui m’oblige à ne pas tout aborder.
Par exemple, je ne suis jamais entré dans le détail des relations entre Galilée et Kepler, qui n’ont pas toujours été, c’est le moins que l’on puisse dire, cordiales60Sur le sujet, on pourra notamment consulter : Massimo Bucciantini, 2003. Galileo e Keplero : Filosofia, cosmologia e teologia nell’Età della Controriforma, Biblioteca di Cultura Storica. Texte en italien. Une traduction française par Gérard Marino : Massimo Bucciantini, 2008. Galilée et Kepler, Philosophie, cosmologie et théologie à l’époque de la Contre-réforme, collection L’Âne d’or, Les Belles lettres.. Également, je n’ai pas indiqué que Kepler était astrologue et qu’il a lui aussi tenté de déterminer l’âge de la Terre à l’aide de la Bible. Ces derniers points peuvent surprendre vus de nos jours, mais il ne faut pas oublier que la méthode scientifique en était alors à ses balbutiements, Kepler ayant d’ailleurs contribué à l’établir.
J’essaye donc de trouver le bon équilibre entre donner suffisamment de détails pour éviter de donner une vision erronée des évènements et éviter de diluer le propos dans un trop grand nombre d’éléments. D’ailleurs, si vous avez un peu consulté ces pages, vous aurez constaté que j’ai fait évoluer l’équilibre dans mes articles de manière à favoriser un peu plus la précision sur la concision, notamment pour éviter d’user de formulations sur lesquels je voudrais revenir – n’hésitez d’ailleurs pas à me dire dans les commentaires ce que vous pensez de cet équilibre.
Le deuxième écueil provient du fait que je me suis fixé un double objectif. D’une part, je cherche à présenter mes domaines en fonction de l’état de l’art actuel. Dans ce cadre, j’utilise l’approche historique pour présenter pas-à-pas les différentes notions nécessaires, en accord avec les connaissances et le vocabulaire actuels. D’autre part, je cherche à présenter l’histoire qui a mené à établir ces connaissances, au-delà des lieux-communs qui se sont éventuellement établis au cours du temps.
Le risque étant alors l’anachronisme, c’est-à-dire dire attribuer à une époque passée des idées et points de vue d’époques plus récentes. J’essaye d’indiquer régulièrement les différences de dénominations et d’approches entre les périodes évoqués dans les articles et notre époque. Cependant, il me semble préférable que le lecteur soit averti de ce problème.
Enfin, il y a un dernier risque : je suis bien entendu toujours susceptible de commettre une erreur. Comme vous pouvez aisément le constater, mes articles sont émaillés de nombreuses références bibliographiques et de nombreux liens. L’idée n’est pas d’impressionner, mais de remplir trois buts. Tout d’abord, donner des pistes pour qui serait intéressé à explorer plus avant le sujet. Ensuite, indiquer d’où je tiens les informations que je transmets et ce qui justifie mon propos. Enfin, tout aussi important, ces références doivent permettre de faciliter à tous les lecteurs la recherche de mes erreurs, afin que vous puissiez m’indiquer s’il y a des éléments erronées dans mes articles – si vous en trouvez, signalez-les-moi et je me ferais évidemment une joie de les corriger.
Encore beaucoup à dire
Quant au cas particulier du présent article, j’espère qu’il saura susciter quelques réflexions, tout comme éveiller votre esprit critique vis-à-vis de mes propos. Cet esprit, j’espère que vous le conserverez en consultant cette série. Le prochain article devrait d’ailleurs porter plus particulièrement sur les mathématiques.
Il y a encore de nombreux éléments que je souhaite vous présenter, je conclus donc en vous disant à bientôt.
Notes
↑1 | Κλαύδιος Πτολεμαῖος, vers 150 après J.-C. Μαθηματική σύνταξις. Texte en grec ancien. Une traduction en français par Nicolas Halma : Claude Ptolémée, 1813 et 1816. Composition mathématique, deux volumes, J. Hermann, Paris. Les deux tomes en édition bilingue français et grec ancien sont disponibles en ligne. |
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↑2 | Denis Diderot et Jean le Rond d’Alembert (éditeurs), 1751-1772. Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, Briasson, David, Le Breton et Durand, Paris, 35 volumes. Disponible en ligne. |
↑3 | Notamment son ouvrage le plus célèbre : Isaac Newton, 1687. Philosophiæ naturalis principia mathematica, John Streater, Londres. Texte en latin. Disponible en ligne. Une version française par Émilie du Châtelet : Isaac Newton, 1759. Principes mathématiques de la philosophie naturelle, deuxième édition, Paris. Disponible en ligne. |
↑4 | Immanuel Kant, 1781. Critik der reinen Vernunft, Johann Friedrich Hartknoch, Riga, Saint empire romain germanique. Texte en allemand. Disponible en ligne. Une traduction française par A. Tremesaygues et C. Pacaud : Emmanuel Kant, 1975. Critique de la raison pure, PUF. Disponible en ligne. |
↑5 | Áρχιμήδης, Ψαµµίτης. Texte en grec ancien. Disponible en ligne. Une traduction française par F. Peyrard : Archimède, 1807. L’Arénaire, François Buisson, Paris. Disponible en ligne. |
↑6 | Voir par exemple : Bertrand Russel, 1945. A History of Western Philosophy, George Allen & Unwin Ltd. Texte en anglais. |
↑7 | Voir par exemple : Laurent Herz, 2007. Al-Biruni, un génie de l’an mil, Éditions du Cygne. |
↑8 | Nicole Oresme, 1377. Livre du Ciel et du monde. Disponible en ligne. |
↑9 | Voir par exemple : Victor Robert et Edward S. Kennedy, 1959. « The planetary Theory of Ibn al-Shātir », in : Isis 50, pp. 227 – 235. Texte en anglais. Disponible en ligne. |
↑10 | Nicolaus Copernicus, 1543. De revolutionibus orbium cœlestium, Johann Petreium, Nuremberg, Saint empire romain germanique. Texte en latin. Disponible en ligne. Une édition critique bilingue latin-français : Michel-Pierre Lerner, Alain-Philippe Segonds et Jean-Pierre Verdet (directeurs), 2015. Nicolas Copernic, De Revolutionibus orbium cœlestium – Des Révolutions des orbes célestes, 3 volumes, Les Belles Lettres, Paris. |
↑11 | Voir par exemple : John Henry, 2012. A Short history of scientific thought, Palgarve Macmillan, Basingstoke, Hampshire, Royaume-Uni. |
↑12 | Nicolaus Copernicus, entre 1511 et 1513. De Hypothesibus Motuum Cœlestium Commentariolus. Texte en latin. On trouvera une traduction en français et commentée de ce manuscrit dans : Henri Hugonnard-Roche, Edward Rosen et Jean-Pierre Verdet, 1975. Introductions à l’astronomie de Copernic, Albert Blanchard, Paris. |
↑13 | Georg Joachim von Lauchen, 1540. Narratio prima, Franz Rhode, Dantzig, Saint empire romain germanique. Texte en latin. Disponible en ligne. On en trouvera une traduction en français et commentée dans Hugonnard-Roche et collab. (1975), voir note 12. |
↑14 | On trouvera des éléments de biographie de Copernic dans Hugonnard-Roche et collab. (1975), voir note 12. |
↑15 | Erasmo Reinholdo, 1551. Prutenicæ Tabulæ Cœlestium Motuum, Ulrich Morhard, Tübingen, Saint empire romain germanique. Texte en latin. Disponible en ligne. |
↑16 | Johannes Kepler, Nicolaus Copernicus, Michael Mästlin et Johannes Schöner, 1596. Mysterium cosmographicum, Georgius Gruppenbachius, Tübingen, Saint empire romain germanique. Réédité en 1621 avec les commentaires de Kepler. Texte en latin. Disponible en ligne. Une traduction critique française par Alain Segonds : Jean Kepler, 1984. Le Secret du Monde, Belles Lettres, Paris. |
↑17 | Galileus Galileus, 1610. Sidereus nuncius, Thomam Baglionum, Venise. Texte en latin. Disponible en ligne. Une traduction française par Fernand Hallyn : Galilée, 1992. Le Messager des étoiles, Seuil. Disponible en ligne. |
↑18 | Ivano Dal Prete, 2014. « Being the World Eternal: The Age of the Earth in Renaissance Italy », in : Isis volume 105, numéro 2, pp. 292 – 317. Texte en anglais |
↑19 | Fausto da Longiano, 1542. Meteorologia, Venise. Texte en italien ancien. |
↑20 | Au sujet de l’importance de l’imprimerie sur l’évolution de la pensée, le travail séminal me semble être : Elizabeth Eisentstein, 1979. The Printing Press as an Agent of Change: Communications and cultural transformations in early-modern Europe, Cambridge University Press, New York. Texte en anglais. L’autrice en a réalisé une version dédiée au grand public : Elizabeth Eisenstein, 1983. The Printing revolution in early modern Europe, Cambridge University Press, Cambridge, United Kingdom. Texte en anglais. Une traduction française par Maud Sissung et Marc Duchamp : Elizabeth Eisenstein, 1991. La Révolution de l’imprimé : À l’Aube de l’Europe moderne, La Découverte, Paris. |
↑21 | James Ussher, 1650. The Annals of The World, E. Tyler, Londres. Texte en anglais. Disponible en ligne. |
↑22 | Voir par exemple : Hubert Krivine, 2011. « Histoire de l’âge de la Terre », in : Images de la physique 2011, pp. 15 – 20. Disponible en ligne. |
↑23 | Nicolau Aymerich, 1376. Directorium Inquisitorum. Texte en latin. L’ouvrage sera augmenté (la taille en faisant plus que doubler) par Francisco Peña en 1578. Une traduction en français par Louis Sala-Molins : Nicolas Eymerich et Francisco Peña, 2002. Le Manuel des inquisiteurs, Albin Michel. |
↑24 | Les lettres de Galilée exposant ce point de vue ont notamment été publiées dans : Paul Poupard, 2005. L’Affaire Galilée, Éditions de Paris. |
↑25 | Voir par exemple : Raymond Edward Brown, 1997. An Introduction to the New Testament, Doubleday, New York City. Une traduction française par Jacques Mignon : Raymond Edward Brown, 2011. Que sait-on du Nouveau Testament, collection Domaine biblique, 3e édition, Bayard, Montrouge, France. |
↑26 | Aurelius Augustinus, 413-426. De Civitate Dei contra paganos. Disponible en ligne. Une version française est en cours de traduction : Olivier Bertrand (éditeur), 2013-2015. La Cité de Dieu de saint Augustin traduite par Raoul de Presle, Champion, Paris. Disponible en ligne. |
↑27 | Matthieu 19.29, Marc 10.30. |
↑28 | Psaumes 105.8. |
↑29 | Sur le sujet, on pourra consulter avec intérêt : Robert I. Moore, 2012. The War on Heresy: Faith and Power in Medieval Europe, Profile Books, Londres. Texte en anglais. Une traduction française par Julien Théry : Robert I. Moore, 2017. Hérétiques. Résistances et répression dans l’Occident médiéval, Belin, Paris. |
↑30 | Voir par exemple : Jean Le Goff, 1990. La Civilisation de l’Occident médiéval, Arthaud, Paris. |
↑31 | Voir par exemple : Jean-Pierre Torrell, 1993. Initiation à saint Thomas d’Aquin, Cerf, Paris. |
↑32 | Stephani Tempier, 1270 puis 1277. Codempnationes, Paris. Texte en latin. Disponible en ligne. Une traduction française par David Piché : Étienne Tempier, 2002. La Condamnation parisienne, Vrin, Paris. Disponible en ligne. |
↑33 | Pour une présentation plus complète des différents courants qui ont conduit à la Réforme protestante, on pourra par exemple consulter : Pierre Chaunu, 1977. Le Temps des réformes : La Crise de la chrétienté, l’éclatement (1250-1550), Fayard, Paris. |
↑34 | Martinus Luther, 1517. Disputatio pro declaratione virtutis indulgentiarum, Wittemberg, Saint empire romain germanique. Texte en latin, disponible en ligne. Une traduction en français : Martin Luther, 1517. Dispute sur la puissance des indulgences. Disponible en ligne. |
↑35 | Au sujet de l’histoire et de la place de l’Église catholique au cours des siècles, on pourra par exemple consulter : Jean-Robert Armogathe et Yves-Marie Hilaire, 2010. Histoire générale du christianisme, PUF, Paris. |
↑36 | Matthieu 21.12-17 ; Marc 11.15-19 ; Luc 19.45-48 et Jean 2.13-16. |
↑37 | Sur le sujet des premiers chrétiens, on pourra par exemple consulter : Marie-Françoise Baslez (dir.), 2004. Les Premiers temps de l’Église : De Saint Paul à saint Augustin, Folio Histoire, Paris. |
↑38 | Martin Luther, 1566. Tischreden, édité par Johannes Mathesius, J. Aurifaber, V. Dietrich, Ernst Kroker et collab., Eisleben, Saint empire romain germanique. Textes en latin. Une traduction française par Louis Sauzin : Martin Luther, 1992. Propos de table, Aubier, Paris. Disponible en ligne. L’entrée à laquelle je réfère porte le numéro 4 638. |
↑39 | Voir par exemple : Richard Stauffer, 1971. « Calvin et Copernic », Revue de l’histoire des religions, 179 (1), pp. 31 – 40. Disponible en ligne. |
↑40 | Leo X, 1521. Decet Romanum Pontificem, Vatican. Texte en latin. Disponible en ligne via Wikimedia. Une traduction en anglais est disponible en ligne. |
↑41 | Pour des détails sur ce concile, on pourra se référer à : Alain Tallon, 2000. Le Concile de Trente, collection Histoire, Cerf, Paris. |
↑42 | Romæ Inquisitionis, 1559. Index Auctorum et librorum prohibitorum, Romæ ex officina. Texte en latin. Disponible en ligne. |
↑43 | Leo X, 1513. Apostolici Regiminis, bulle papale, Vatican. Texte en latin. |
↑44 | Voir par exemple : Yves Gingras, 2010. « L’Atomisme contre la transsubstantiation », La Recherche n° 446, pp. 92 – 94. |
↑45 | Au sujet des tenants et aboutissants du procès de Galilée, on pourra se référer à : Francesco Berreta (dir.), 2005. Galilée en procès, Galilée réhabilité ?, Éditions Saint-Augustin, Saint Maurice, Suisse. |
↑46 | Galileo Galilei, 1632. Dialogo sopra i due massimi sistemi del mondo, Batista Landini, Florence. Texte en italien. Disponible en ligne. Une traduction française par René Fréreux et François de Gandt : Galilée, 2000. Dialogue sur les deux grands systèmes du monde, collection Point Sciences, Seuil, Paris. |
↑47 | Voir par exemple : Samuel S. de Sacy, 1996. René Descartes, deuxième édition, Seuil, Paris. |
↑48 | René Descartes, 1664. Traité du monde et de la lumière. |
↑49 | Galileo Galilei, 1638. Discorsi e Dimostrazioni Matematiche Intorno a Due Nuove Scienze, Leyde, Hollande. Texte en italien. Disponible en ligne. Une traduction française par Maurice Clavelin : Galilée, 1995. Discours concernant deux sciences nouvelles, PUF. |
↑50 | Voir par exemple : Pierre-Noël Mayaud, 1997. La Condamnation des livres coperniciens et sa révocation à la lumière de documents inédits des Congrégations de l’Index et de l’Inquisition, Université pontificale grégorienne. Partiellement disponible en ligne. |
↑51 | Voir par exemple : Massimo Bucciantini, Antonella Romano, Francesco Beretta, Catherine Brice, Maria Pia Donato, Guillaume Cuchet et Faouzia Charfi, 2017. « L’Affaire Galilée » (dossier), L’Histoire n° 440, pp. 36 – 65. |
↑52 | Charles Darwin, 1859. On the Origins of Species by Means of Natural Selection, or the Preservation of Favoured Races in the Struggle for Life, John Murray, Londres. Texte en anglais. Disponible en ligne. Une traduction en français par Aurélien Berra, sous la direction de Patrick Tort et la coordination de Michel Prum : Charles Darwin, 2009. L’Origine des espèces, Champion (poche) & Slatkine (grand format), Genève. Disponible en ligne. |
↑53 | On consultera avec intérêt l’ouvrage suivant : Yves Gingras, 2016. L’Impossible dialogue, PUF, Paris. |
↑54 | Voir par exemple : F. Jamil Ragep et Sally P. Ragep (éditeurs), avec Steven Livesey, 1996. Tradition, Transmission, Transformation. Proceedings of two Conferences on Pre-modern Science held at the University of Oklahoma, E .J. Brill, Leiden, New York, Köln. Textes en anglais. |
↑55 | On pourra notamment se reporter à : Thomas Samuel Kuhn, 1957. The Copernican Revolution, Harvard University Press, Cambridge, Massachusetts, États-Unis d’Amérique. Texte en anglais. Une traduction française par Alain Segonds : Thomas Samuel Kuhn, 2016. La Révolution copernicienne, collection l’Âne d’or, Les Belles lettres, Paris. |
↑56 | Sur ce sujet sensible et important, l’ouvrage suivant présente des éléments mieux que je ne peux le faire : Faouzia Charfi, 2013. La Science voilée, Odile Jacob, Paris. |
↑57 | Le lecteur intéressé par l’histoire de la roue, ainsi que les origines des langues indo-européennes pourra se reporter à : David W. Anthony, 2007. The Horse, the Wheel, and Language: How Bronze-Age Riders from the Eurasian Steppes Shaped the Modern World, Princeton University Press, New Jersey, États-Unis d’Amérique. Texte en anglais. |
↑58 | Gaston Bachelard, 1938. La Formation de l’esprit scientifique, Vrin, Paris. Disponible en ligne. |
↑59 | Thomas Samuel Kuhn, 1962. The Structure of Scientific Revolutions, University of Chicago Press. Texte en anglais. Une traduction française par Laure Meyer : Thomas Samuel Kuhn, 1972. La Structure des révolutions scientifiques, Flammarion. |
↑60 | Sur le sujet, on pourra notamment consulter : Massimo Bucciantini, 2003. Galileo e Keplero : Filosofia, cosmologia e teologia nell’Età della Controriforma, Biblioteca di Cultura Storica. Texte en italien. Une traduction française par Gérard Marino : Massimo Bucciantini, 2008. Galilée et Kepler, Philosophie, cosmologie et théologie à l’époque de la Contre-réforme, collection L’Âne d’or, Les Belles lettres. |
Bonjour Yoann,
merci pour ce très bon article dont j'apprécie particulièrement l'esprit et le contenu. La démarche avouée de pencher vers la précision plus que la concision obligent à parfois être un lecteur très attentif (des titres de paragraphes pourraient-ils aider ?).
J'apprécie les données publiées ainsi que l'esprit de la rédaction, et voir un article insister sur la continuité de notre histoire me plait (je suis en pleine lecture d'un livre traitant des sociétés humaines au paléolithique : il est impressionnant d'y voir déjà des bases solides de nos sociétés actuelles).
Je souhaitais mentionner ici que j'avais trouvé un intérêt particulier à cliquer sur le lien pointant vers la biographie Wikipédia de Nicolas Oresme, mais pas à propos d'astronomie. Les deux points suivants me paraissent remarquables (citations Wikipédia) :
"Cela lui a permis de surmonter la prohibition pythagoricienne de la division régulière des intervalles pythagoriciens comme 8/9, 1/2, 3/4, 2/3 et lui a permis de produire la gamme tempérée"
"Oresme soutient également que la nature de la couleur et celle de la lumière sont identiques, la couleur n’étant que de la lumière blanche brisée et reflétée : « les couleurs font partie de la lumière blanche ». Cette théorie aurait été inspirée par ses investigations musicologiques : dans sa théorie des harmoniques et de la couleur de tonalité, il établit une analogie entre ces faits musicaux et le phénomène du mélange de couleurs sur un tour"
On ne les retrouve néanmoins pas sur la version anglophone de Wikipédia, et ces travaux me paraissent tellement en avance par rapport à ceux de Stevin (tempérament égal) ou de Helmholtz (sur le son et la couleur) que j'aurais peur d'être influencé par un désir d'adhérer à l'antériorité d'Oresme.
Auriez-vous par hasard quelques éléments, aussi, à ce propos ?
Cordialement,
phuphus
Merci pour ce message. C’est vraiment utile pour moi de savoir ce que pense les lecteurs de l’article, ça me permet d’éventuellement l’amender, mais aussi de me donner des guides pour la rédaction des suivants.
Je suis conscient que le fait de rentrer dans les détails peut éventuellement mettre un peu l’attention du lecteur à l’épreuve. Il m’a semblé qu’en l’espèce ça reste acceptable, mais avez-vous eu à un moment vraiment du mal à suivre ?
Je note la suggestion de décomposer en plus de sections. À un moment de la rédaction de cet article, j’en avais fait plus, mais il m’avait semblé que ça saucissonnait trop le propos et qu’on perdait la logique. Visiblement, vous êtes plutôt d’avis que je peux en mettre plus.
Concernant les ondes, la musique et les couleurs, donc de Nicole Oresme, le sujet m’intéresse, il y a plein de chose à dire et, là encore, l’histoire est assez longue et riche. En revanche, dans l’immédiat je n’ai pas encore assez creusé le sujet, le risque et trop grand que je dise des bêtises, donc je préfère m’abstenir au moins temporairement. Ce n’est sans doute que partie remise.
En accord avec vos remarques, j’ai ajouté des sous-sections et scindé quelques paragraphes. J’ai également ajouté des illustrations. L’article ne s’en porte, en effet, pas plus mal et la lecture est probablement facilitée.
Je vous remercie donc.
Merci pour cet article, cela faisait longtemps que je cherchais une explication moins primaire et de la "découverte" et de la condamnation de Galilée. Pour ce qui concerne les possibilités de spéculations émanant du clergé hors d'un soi-disant dogme rigide vous pouvez lire Nicolas de Cues (cardinal de la fin du XVème très proche du pape) qui théorisait sur l'absence de centre de l'univers et sur la possibilité de vies en dehors de la terre.
J'ai par ailleurs lu que le Vatican avait très rapidement enseigné les théories de Galilée. Je ne trouve plus la référence de cet article mais puisque l'Eglise avait le quasi monopole de l'enseignement il serait intéressant de savoir à quel moment Galilée même comme simple hypothèse a été enseigné.
Merci pour ce commentaire.
Oui, Nicolas de Cues est un bon exemple, j’aurais pu, sans doute dû, en parler.
Concernant l’enseignement, parler de monopole de l’Église dépend un peu de la façon dont on voit les choses. D’un côté, les universitaires sont des clercs, en ce sens ils dépendent de l’Église. Cependant, les universités étaient très indépendantes de l’Église et d’ailleurs la Contre-réforme tente, sans vraiment y parvenir, de reprendre le contrôle des universités.
Maintenant, dire que le Vatican a enseigné les théories de Galilée est compliqué, dans la mesure où le Vatican lui-même ne fait guère d’enseignement. En revanche, le Dialogue sur les deux grands systèmes du Monde a été écrit à la demande du pape Urbain VIII, pour la rédaction duquel Galilée était certes enjoint à présenter les deux systèmes équitablement, mais enfin il s’agissait de donner une publicité importante au système copernicien. En ce sens, il y a bien eut un court soutient à la diffusion des théories galiléennes, avant que le compromis soit considéré comme rompu.
Le cas de Galilée est souvent considéré comme un exemple de conflit entre la science et la religion, bien que de nombreux facteurs aient contribué à ce conflit, notamment des considérations politiques et personnelles. Finalement, en 1992, plus de 350 ans après le procès de Galilée, le pape Jean-Paul II a admis que l'Église avait eu tort dans sa condamnation de Galilée et a reconnu les erreurs du passé. Cela a marqué un tournant dans les relations entre la science et la religion au sein de l'Église catholique.
C'est un des articles préférés de ce site, toujours un plaisir de le relire.
Il est célèbre pour avoir développé et défendu la théorie de l'héliocentrisme, selon laquelle la Terre tourne autour du Soleil, supposé au centre de l'Univers, contre l'opinion alors admise que la Terre était centrale et immobile. Les conséquences de cette théorie, ayant causé de profonds changements des points de vue scientifique, philosophique et religieux, sont désignées comme la révolution copernicienne.
Copernic a été une référence pour Retour vers le futur
Très bon article !